“Si on veut transmettre une entreprise, il faut la faire évoluer”

L'interview d'Apollonia Poilâne

Boulangère et PDG de la Maison Poilâne

Apollonia-poilane

Apollonia est née il y a 37 ans dans des odeurs de pain fraichement levé, d’un père et grand-père boulangers et d’une mère américaine. Depuis toute petite, dit-elle, elle savait qu’elle rejoindrait l’entreprise familiale, l’emblématique Maison Poilâne. Ce qu’elle ne savait pas, c’est qu’elle en reprendrait les rennes si tôt, et si brusquement : lorsque ses parents décèdent accidentellement, Apollonia a 18 ans, et s’apprête à aller étudier à « Boston » (entendez Harvard, pour les moins modestes). Plutôt que de renoncer, elle décide de faire les deux en même temps. Pendant quatre ans, Apollonia fait des aller-retours entre les Etats-Unis et la France, profitant du décalage horaire pour se faire une double journée. Mais pas une double vie, puisque, clairement, tout tourne autour du pain, dont elle ne se lasse pas d’explorer les possibilités.

En maintenant 19 ans à la tête d’une entreprise fondée deux générations plus tôt, Apollonia n’a cessé de perpétuer la passion et la tradition familiales, tout en développant et transformant une Maison dont elle est à la fois la conséquence et la cause.

En amont de sa participation aux Sommets les 28, 29 et 30 mars prochains, Apollonia a pris le temps de nous partager sa vision de l’héritage, de la transformation, et de l’entrepreneuriat.

Comment transforme-t-on une entreprise dont on a hérité ?

Cette question m’a été posée très vite suite au décès de mes parents : on me demandait quelle serait « ma patte à moi ». Au début, cela me rendait folle, parce que je me voyais essentiellement comme une passeuse. Je suis la troisième génération à la tête de l’entreprise : cette entreprise, ce n’est pas moi, elle me dépasse largement. La question de ma patte ne me semblait pas pertinente, j’étais là pour continuer. Je n’avais donc pas l’intention de la transformer ou lui imprimer une marque personnelle. Pourtant, avec le temps, force est de constater que c’est bien ce que j’ai fait ! Naturellement, j’ai fait évoluer la maison, et, naturellement, je l’ai fait à ma façon. Aujourd’hui quand je regarde le chemin parcouru et ce qu’est Poilâne aujourd’hui, j’y vois clairement ma patte.

Donc ta vision s’est forgée petit à petit, dans l’action ?

Petit à petit, je me suis appropriée la matière… le pain, l’entreprise. Et petit à petit je l’ai transformée, pour m’adapter. Et puis parce qu’une entreprise doit constamment s’adapter pour perdurer. Il y a quelque temps, un meunier, représentant d’une entreprise centenaire, m’a offert un recueil d’essais sur la transformation, dont l’idée était de montrer combien il est essentiel de savoir se transformer dans le temps. En réalité, si l’on veut durer, et transmettre une entreprise, il est indispensable de la faire évoluer. Moi, pendant longtemps, je l’ai fait assez intuitivement. Maintenant que je suis plus consciente de cela, je le fais plus intentionnellement.

Qu’est ce qui t’a permis de prendre conscience de cette nécessité de transformation continuelle ? Comment en es-tu venue à réfléchir à tout cela ?

Assez simplement, j’ai commencé à réfléchir à ces sujets parce qu’on me posait des questions !  Cela m’a en quelque sorte obligée à m’interroger sur ma façon de faire, ma philosophie.

Tu as aussi publié un livre, partageant à la fois l’histoire familiale et des recettes de pain. Ce livre est-il une prolongation de ta réflexion ? D’où vient ce livre ?

Ce livre s’inscrit totalement dans la logique de transmission et de partage de notre Maison. L’idée de l’écrire m’est venue un jour où j’ai gardé du pain frais pendant une semaine: j’étais émerveillée d’avoir obtenu un pain de si bonne tenue. Et je me suis dit, « si je trouve ça cool d’arriver à produire un pain qui dure si bien, si longtemps même après avoir déjà passé 12 ans à diriger cette entreprise, c’est que ce métier doit vraiment me plaire. Et que je ne dois pas être la seule à trouver ça formidable de produire du pain, avec des ingrédients aussi simples que du grain moulu très finement (ce qu’on appelle la farine), un peu de sel, et un peu de levain ». Alors j’ai eu envie de partager ma passion et mes connaissances.

Cette passion que tu voues au pain et à ton métier, comment la préserves-tu?

Je reste au plus près de la matière, j’essaie de la travailler constamment. Je passe énormément de temps dans la boulangerie, avec les boulangers. Cela me semble être la base de mon métier.

Avez-vous une philosophie d’entreprise chez Poilâne?

Oui, avoir une philosophie d’entreprise a toujours été extrêmement important. D’abord parce que c’est quelque chose que faisait mon père. Ensuite parce que la formuler, et la redéfinir régulièrement me semble quelque chose qu’il est essentiel de continuer à faire.

Propos recueillis par Sophie Guignard.

Pour plus d’échanges inspirants, rendez-vous aux Sommets les 28, 29 et 30 mars 2022 à Annecy.
Programmation 2022