Tessa Worley : ” Il faut aller chercher les risques qui peuvent être payants “
Comment présente t-on les champions ? En général, on balance leur palmarès. En l’occurence, là on en a un pas mal : trente-six podiums et seize victoires d’épreuves dans les jambes, dont deux titres de championne du monde de géant, deux de plus de championne du monde en équipe, sept titres de championne de France en géant, et deux autres en super-G. Mais un athlète est toujours bien plus que ses statistiques et ses prouesses physiques, raison pour laquelle on ne peut s’empêcher de s’interroger sur ce qu’il se passe dans leur tête pour qu’ils arrivent à faire la différence. Et puis lorsqu’on croit avoir trouvé le point commun qui unit les champions, on réalise que l’on s’est trompé, et qu’il n’y en a pas deux pareils.
Loin du cliché assimilant les meilleurs à des “killers”, Tessa Worley, c’est 156 centimètres de neige fraiche et d’énergie passionnée. Un gros moteur alimenté par l’envie de vivre des émotions fortes davantage que par la peur de perdre. Un monstre de travail et d’endurance qui a su, épreuve après épreuve, échec après succès, construire et reconstruire son palmarès avec discipline et sagesse.
En amont de sa participation aux Sommets, Tessa nous a partagé quelques-uns des secrets de fabrication de ses courbes engagées, sur fond de prise de risque savamment dosée.
Comment te préparais-tu mentalement aux grandes courses ?
En équipe de France, la préparation mentale relève d’une démarche personnelle qui n’est pas obligatoire. Moi j’ai commencé à me faire accompagner en 2010, suite à mes premiers succès. Je n’avais que 19 ans lors de ma première victoire en coupe du monde en 2008, et assez rapidement j’ai senti que le mental pourrait devenir un point bloquant pour la suite. J’avais besoin de trouver une solution pour rééditer la performance. Les premiers succès arrivent avec une certaine insouciance. Ensuite c’est plus compliqué… Après ma première victoire, j’ai mis une saison entière à gagner de nouveau. Cela m’a permis de réaliser qu’il fallait aligner beaucoup de choses pour gagner.
Quel accompagnement as-tu choisi ?
Je me suis d’abord tournée vers le yoga, pour apprendre à me détendre, et puis pour apprendre à être dans le moment présent, à trouver un ancrage solide. J’ai fait cela pendant cinq – six ans avec une professeure, avant de passer à un autre accompagnement, cette fois plus psychologique. A ce stade de ma carrière, j’avais désormais davantage besoin de lâcher mes émotions, de parler.
En quoi ton mental pouvait te freiner lors des grands rendez-vous ?
Souvent j’avais trop envie, et du coup mon ski n’était pas assez relâché. Cela créait une sorte d’urgence et de crispation. Or, en ski, il faut être relâchée et en confiance pour que ça marche.
Justement, comment as-tu appris à lâcher-prise pendant les courses ?
La clé, c’est d’abord l’entrainement, toute la préparation en amont. Plus on s’entraîne, plus on rend les gestes automatiques, ce qui permet de ne plus avoir à y penser par la suite. Pendant toute la phase de préparation, on se concentre sur la technique et l’anticipation de différents scenarii. Mais à mesure que la course approche, on passe en mode « course », pour finalement arriver le jour J à rester concentrée uniquement sur la course, sur le moment.
Comment faisais-tu pour bloquer les pensées parasites ?
Moi mon truc c’était de me parler, de m’encourager à voix haute, pour empêcher de me faire envahir par le doute. Mon entourage aussi savait trouver les mots pour me recentrer.
“J’ai appris à considérer chaque échec comme un nouveau point de départ “
Comment gérais-tu les moments durs, les “bas” de ta carrière ?
C’était très dur, et parfois je m’enfonçais un peu dans le tourment. Le travail avec le psychologue m’a précisément appris à gérer ce genre de situation et à considérer chaque échec comme un nouveau point de départ. Cela m’a permis d’acquérir un peu plus de sérénité lorsque les choses ne se passaient pas comme voulu.
Dans ces moments-là, as-tu déjà pensé jeter l’éponge ?
Non. On m’a souvent demandé cela, notamment suite à des blessures. Mais non, je n’ai jamais pensé arrêter dans ces moments-là. J’ai décidé d’arrêter quand j’ai eu le sentiment d’avoir à la fois atteint mes objectifs et que mon physique commençait à décliner, rendant tout plus difficile, y compris d’entretenir la flamme sacrée. Il faut dire qu’à la fin d’une saison on est quand même bien vidée, et il faut beaucoup d’envie pour repartir. Moi j’ai essayé d’écouter les signes pour ne partir ni trop tard ni trop tôt.
Quel était ton moteur principal ?
J’ai toujours aimé apprendre, progresser, travailler. Mais mon vrai moteur, ça a toujours été l’envie. Pendant mes dernières années, c’est même devenu une priorité, je me suis vraiment laissée orienter par cela. C’est le plaisir qui me faisait avancer et prendre des risques. L’autre chose qui me faisait tenir et aimer autant le ski, c’était toute l’équipe et l’ambiance qu’il y avait autour.
“J’allais chercher les risques que je savais pouvoir rattraper”
Quid de la peur: était-ce un moteur ou un frein ?
Si l’on parle de la peur de se faire mal, je l’ai toujours considérée comme légitime voire utile. En revanche la peur de contre-performer, celle-là est assez emprisonnante et c’est celle contre laquelle j’ai cherché des moyens de lutter. Mais j’ai toujours eu le sentiment que chez moi, la peur de perdre était moins importante que l’envie de gagner. C’est vraiment l’envie de gagner, de vivre ces émotions positives fortes qui me portaient, davantage que la peur de perdre et me sentir mal.
Gagner une course de ski suppose de prendre des risques. Comment les appréhendais-tu ?
Par la répétition. Plus on répète, moins il y a de risque. En vitesse, qui n’était pas la discipline dans laquelle j’étais la plus à l’aise, j’avais braiment besoin de beaucoup répéter, de beaucoup travailler pour gagner en confiance et me sentir bien sur mes skis. C’est à cette condition que j’arrivais ensuite à prendre davantage de risques, car à force de répéter je ne les percevais plus comme tels. En revanche, si j’arrêtais l’entrainement pendant un moment, il fallait que je recommence tout le processus quasiment depuis le début pour me sentir de nouveau à l’aise, comme par exemple avec les sauts.
Les meilleurs skieurs sont ceux selon toi ceux qui prennent le plus de risques ?
Ca dépend des tempéraments. Le mien est assez mesuré. Mais je savais aussi que j’avais une technique solide, et que je pouvais compter sur elle pour rattraper beaucoup de mes éventuelles erreurs. Mon approche consistait donc plutôt à aller chercher les risques que je savais pouvoir rattraper. La clé, c’est d’aller chercher les risques qui peuvent être payants. En ski, cela consiste à trouver des lignes plus engagées, plus audacieuses. Certains skieurs vont plus loin et skient sur le fil, un peu en mode « ça passe ou ça casse ». Moi je trouve cela trop risqué. De fait, c’est ce que j’ai tenté l’année dernière lors des championnats du monde à Méribel en Géant : je me suis mise à la limite de mes capacités car j’étais poussée par l’objectif à atteindre, c’est à dire la médaille et les autres coureuses, et cela n’a pas fonctionné. C’était aussi un peu le signe pour moi que c’était la fin.
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