Maud Falconnet, CEO et fondatrice de Poderm. Ou comment développer une pépite loin des codes de l’époque.
Maud Falconnet – CEO de Poderm
Allez, on vous fait une Intro à la Elle magazine, parce que Maud le vaut bien. Il est neuf heures pile. Maud apparait, magistrale, dans l’embrasure de la porte, enceinte jusqu’au cou. Le bébé est pour tout de suite, mais ça laisse le temps d’un petit déj. Elle me demande comment se présentent les Sommets, quelles histoires on va y raconter. Des histoires de performance et de contre-performances, lui dis-je, mais aujourd’hui, c’est ton histoire qui nous intéresse. Plus précisément celle de Poderm, jeune entreprise suisse qui en 2017 n’existait pas mais projette un CA de 24 millions d’euros d’ici la fin de l’année. Tout ça sans être dans la tech, sans avoir levé de fonds, sans avoir jamais suivi de formation exécutive à HEC ou autre institution faiseuses de rois. Au dessus d’un café latte, Maud me raconte qu’elle a toujours eu de la chance, que les planètes semblent toujours s’aligner au dessus de sa tête. « Tiens, ma COO, par exemple : la boite commençait à tourner, j’avais besoin d’un ou une bras droit, mais désespérais de trouver quelqu’un qui serait à la fois capable de comprendre ma vision et de la mettre en oeuvre. Avant même d’avoir lancé une recherche que j’anticipais difficile, j’ai reçu un message sur Linkedin, une ancienne de Bayer qui m’envoyait une candidature spontanée. Je l’ai invitée à manger une fondue ; à la fin du repas je savais que c’était elle. Je n’ai vu aucun autre candidat ». En effet… mais alors, explique-moi….
… Poderm, ça sort d’où ?
Je suis podologue de formation et j’ai monté une petite clinique à Genève. Rapidement, j’ai constaté que mes patients étaient désespérés face à leurs problèmes d’ongles : mycoses, ongles cassants, ongles incarnés… Ils ne trouvaient rien d’efficace sur le marché. Plutôt que de les voir souffrir en silence, j’ai décidé de développer un traitement ciblé pour ces pathologies. Mon premier produit était donc une solution thérapeutique qui, en plus de traiter, permettait aussi de régénérer l’ongle pour lui redonner un aspect sain. C’était à la fois thérapeutique et esthétique. J’ai vu mes patients revivre, et à partir de là, j’ai su que quelque chose de plus grand était à entreprendre.
« Si j’avais baigné dans le monde du business ou des start-ups, je ne crois pas que Poderm aurait eu le même succès »
Comment la boite s’est-elle développée au début ?
De manière très simple. Je n’ai aucun code business, aucun diplôme en management, je n’ai jamais travaillé dans une entreprise. J’avais uniquement ma clinique, que j’avais appris à gérer en bonne mère de famille. J’ai développé Poderm avec la même mentalité, avec un certain bon sens paysan. L’entreprise s’est développée à mesure que les ventes augmentaient, tout simplement, passant de quelques centaines de milliers d’euros la première année à un million la troisième, pour ensuite accélérer plus rapidement.
De fait, je crois que c’est ce qui fait le succès de Poderm : mes équipes apprécient cette façon que j’ai de ne pas penser comme les autres dirigeants de boites, notamment cette liberté voire ce réflexe que j’ai de chercher d’autres manières de faire les choses. Si j’avais baigné dans le monde de l’entreprise ou de la start-up, je me serais inspirée de cas d’écoles, j’aurais suivi les étapes attendues : des études de marché, un Business Plan, une levée de fonds, puis une autre, beaucoup de marketing, beaucoup de communication, beaucoup de produits… Il se trouve que j’ai fait tout l’inverse, et ça a porté ses fruits.
Peu de produits, peu de communication… peux-tu développer ?
Nous sommes assez peu visibles. Je suis d’ailleurs assez certaine que la plupart des gens s’imaginent que nous sommes plus petits que d’autres entreprises concurrentes, car elles sont en plus visibles. En réalité, nous sommes souvent plus gros. Mais je n’ai jamais fait le choix de la communication, d’abord parce que je n’ai pas besoin de me montrer. Ensuite, et surtout, parce que dès le début, j’avais un super produit, très efficace. En échangeant avec quelques personnes, j’ai rapidement compris qu’il fallait que je me concentre non pas sur la communication, mais sur la distribution. A partir de là j’ai consacré quasiment toute mon énergie à aller rencontrer des pharmaciens et des podologues pour qu’ils testent et recommandent le produit. J’avais mon présentoir avec mes trois produits sous le bras, et je faisais littéralement du porte à porte. Pendant trois ans, je m’en suis tenue à cela, j’ai fait attention de ne pas me disperser.
Ça a l’air évident, voire presque simple…
J’ai galéré, bien sûr ! J’ai eu beaucoup de moments de solitude… Pour commencer, au début, tout le monde me disait que mon idée ne fonctionnerait jamais. On m’assurait que mes produits ne se vendraient jamais en pharmacie, y compris ce pharmacien annécien qui, lorsque je l’ai revu à l’occasion d’un salon, m’a avoué qu’à l’époque, il avait commandé mes produits “pour me faire plaisir”, pensant que je n’allais jamais percer face aux géants de l’industrie. A d’autres occasions on me demandait si j’étais chimiste. Je ne le suis pas, répondais-je, mais je savais que j’avais une solution qui fonctionne ! Puis il y a eu ce jour où j’ai reçu ma première commande : 5000 produits, qui ont tous été livrés… chez moi ! J’avais cette pile de cartons dans ma cuisine. Pendant des semaines, je prenais mon petit-déjeuner en me disant : “Bon, il va falloir les vendre maintenant. Sinon, j’aurai des produits à vie dans mon cabinet !” Ensuite, tout s’est accéléré. J’ai commandé 30 000 pièces en deux livraisons, puis 60 000, 120 000. Aujourd’hui, 6 ans plus tard, on produit plus d’un million de pièces par an. On vend 5 produits par minute !
Ca me fait penser à Will Smith dans The Pursuit of Happiness …
Un peu. Et puis avoir ne pas avoir les codes n’a pas toujours été un atout : je me souviens d’un pharmacien à Genève qui, après mon discours pour lui vendre mes produits, m’a demandé mes conditions commerciales. « C’est quoi des conditions commerciales ? », lui ai-je répondu. À cette époque, je faisais encore mes factures sur papier… mais j’ai appris rapidement.
Maintenant tu as des commerciaux qui le font à ta place ! Combien êtes vous désormais ?
Maintenant j’ai une vraie équipe ! Jusqu’à il y a deux ans, nous étions dix. Maintenant, nous sommes une cinquantaine avec la clinique. Nous sommes désormais très bien structurés, nous avons même un business plan, un budget, etc. Pour moi, c’est une première !
« Pour moi, l’indépendance et la maîtrise totale de mon entreprise sont plus précieuses que n’importe quelle somme d’argent.”
Tu as gardé ta clinique ?
Oui, cela me semble indispensable. Je veux garder l’expertise métier au centre. Nous avons huit podologues à la clinique.
Parlons finances : tu n’as jamais eu besoin, ni été tentée d’accélérer ta croissance grâce à une levée de fonds ?
Non, jamais. A mon sens il y a deux types de sociétés : celles qui ont besoin de fonds pour atteindre un seuil critique et commencer à générer du cash, et celles qui sont ultra-performantes, où il n’est pas nécessaire d’aller chercher de l’argent. Je fais partie de cette seconde catégorie. Pour moi, l’indépendance et la maîtrise totale de mon entreprise sont plus précieuses que n’importe quelle somme d’argent. Et puis si j’avais commencé à jouer le jeu des levées de fonds, je ne ferais plus que ça. Quand je regarde les CEOs de boites récentes, j’ai l’impression que leur job, c’est d’aller parler et séduire des investisseurs. Moi, mon job, c’est de développer mon entreprise.
Et la concurrence, comment réagit-elle ?
La concurrence est terrible ! Quand vous commencez à gêner des concurrents, il y a deux options : soit ils essaient de vous racheter, soit ils tentent de vous détruire. Les bâtons dans les roues sont arrivés aussi vite que le succès. Mais paradoxalement, ces attaques ont renforcé notre expertise. Elles nous ont poussé à nous professionnaliser encore plus, alors merci à eux !
« Partir vivre ailleurs trois mois par an en famille nous permet de nous interroger sur les objectifs que nous voulons poursuivre et les priorités que nous voulons nous donner »
Parlons tropiques…Continues-tu de partir trois mois par an au bout du monde ?
Cette année nous n’allons pas partir car avec le bébé cela risque d’être un peu stressant, mais oui, l’idée est de continuer de partir trois mois par an, avec les enfants. Pour Julien (le mari, entrepreneur à succès lui-aussi ) comme pour moi, ces voyages sont essentiels. Au niveau professionnel comme personnel, ils nous permettent de tout remettre en perspective, de nous interroger sur les objectifs généraux que nous voulons poursuivre et les priorités que nous voulons nous donner. L’équipe s’organise finalement très bien sans moi. J’ai la chance de savoir déléguer facilement et de ne pas être dans le micro-management.
Tes équipes ont-elles la même flexibilité ?
Ils ont deux jours de télétravail par semaine, le lundi et le vendredi. Ils les prennent tous, d’autant que nombres d’entre eux habitent en France. Ils ont aussi la possibilité de partir un mois par an, à condition qu’il y ait au moins une semaine de vacances dans ce même mois.
Cette année tu emmènes tout ton COMEX aux Sommets. Pourquoi ?
C’est une belle occasion de créer de la cohésion dans le comex. Et je suis convaincue, comme on se le disait à l’instant, de la nécessité de prendre des temps de recul, de déconnecter un moment pour se confronter à d’autres questions, à d’autres entreprises, à d’autres personnes. Personnellement, je viens d’abord pour l’inspiration, pour ces personnalités aux parcours extraordinaires qu’on rencontre aux Sommets.
Les Sommets, qu’est ce que c’est ?
Les Sommets, ce sont 2 jours pour s’inspirer et respirer, et repenser l’entreprise de demain. Au programme, des masterclass, des échanges sans filtre, des interviews live, des ateliers indoor et outdoor, le fameux télécabine pitch, des déjeuners, des diners, et enfin des soirées dont les Sommets ont le secret.
Avec en filigrane l’objectif de créer de nouvelles connexions : entre les neurones, entre les problématiques, entre les gens.
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