le 03 décembre 2024 9 minutes

Jean-Baptiste Bosson (glaciologue) : L’engagement des entreprises peut faire pencher le destin du bon côté

 

On aurait pu attaquer comme ça : au commencement, il y avait un nom: Bosson, comme un glacier du Mont Blanc. Une destinée tracée au berceau. Sauf qu’au commencement, il y a eu des livres. Ceux sur lesquels on tombe quand on a vingt ans et qu’on s’ennuie ferme à la maison (je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre). Les aventures de Frison Roche, qui trainaient, là, sur une étagère de la maison de famille. Un univers s’ouvrait alors… alors que les montagnes n’étaient effectivement pas très loin : Jean-Baptiste a grandi à Annemasse. Mais comme ces parisiens qui n’ont jamais gravi la Tour Eiffel, Jean-Baptiste n’avait jamais gravi de montagne. Et puis il avait le vertige. Après avoir lu Frison Roche, il se met à lever les yeux. Il imprime des itinéraires sur le Mont Blanc. Il lit d’autres récits, et se passionne pour ce qui là-haut coiffe les sommets : les glaciers. Mais aussi pour tout ce qui plus bas en découle : les lacs, les roches, les fleurs, les animaux. Désormais, Jean-Baptiste veut devenir glaciologue.

Il termine ses études à Sciences Po Lyon puis file à Lausanne étudier la glaciologie et la géomorphologie (la géographie du relief). ll enchaîne un doctorat sur les glaciers. Quel sujet de thèse ? ose-je lui demander. Ah… l’intitulé était très technique, évidemment. Avec du recul, et si j’avais pu, je l’aurais baptisé « Les glaciers se cachent pour mourir… et parfois pour survivre ». Pendant ce temps, il lit Les racines du ciel, grand roman de Romain Gary mettant en scène le combat d’un homme pour protéger les éléphants en Afrique. «Le protagoniste défend les éléphants, mais on comprend que ce qu’il essaie de faire, en réalité, c’est de réparer le monde, m’explique -t-il. Moi, mes éléphants, c’est les glaciers. C’est une porte d’entrée, ça aurait pu être chose. Car en réalité, j’essaie, aussi, de réparer le monde. »

C’est une terre qui reprend dans son sein, plus vite qu’une autre, les branches tombées, les ambitions, et les hommes.” Romain Gary, Les racines du ciel 

Ça aurait pu être autre chose que des glaciers, vraiment ? 

Pas tout à fait quand même. Le philosophe anglais Timothy Morton appelait ça des hyper-objets. Les glaciers, les ours polaires, mais aussi les centrales nucléaires sont des hyper-objets en ceci que leur dimension spatiale ou temporelle est énorme à l’échelle d’un humain, ce qui les met hors de notre portée. On les conçoit tout au plus. Pourtant, leur impact est énorme pour le reste de l’écosystème dont ils font partie. 

Les glaciers sont fascinants, mais ce qui m’intéresse avant tout c’est la protection de la nature et du vivant. 

Credit Luke Oslizlo sur Unsplash

Aujourd’hui, tu focalises-tu ton énergie sur l’après-glaciers. Pourquoi ? 

Les glaciers reculent voire meurent les uns après les autres. Je m’intéresse donc de plus en plus à l’après-glaciers, à tout ce qui émerge une fois que les glaciers disparaissent. Cela donne place à des éco-systèmes tout neufs, avec des forêts primaires, des lacs, une nature nouvelle. Et puis ça me permet de travailler sur des sujets un peu plus réjouissants, car travailler sur les glaciers, aujourd’hui, c’est malheureusement travailler sur du mourant. Dans le combat qui est le mien, à savoir de préserver et sauver tout ce qui peut encore l’être, j’ai besoin d’ajouter du positif. Trouver les mots pour donner envie aux gens de s’intéresser à la nature et la protéger. On voit bien que le discours alarmiste ne marche pas. Nous sommes en train de perdre les combats. Qui a envie de s’entendre dire toute la journée que le vivant recule, que la nature disparait ?

Quels discours et posture adoptes-tu pour sensibiliser les parties prenantes ?

L’enjeu consiste à re-générer du désir. Il faut que la nature re-devienne quelque chose que l’on a envie de voir fleurir, que l’écologie soit un combat positif, car il fait sens, et il fait du bien. J’ai cette année créé l’association Marge Sauvage précisément pour réconcilier les humains avec la magie de la nature. Je les emmène marcher dans la montagne, leur en explique les enjeux, évidemment, mais surtout leur fais sentir et expérimenter le vivant. Nous ne manquons pas (ou plus) de  connaissance scientifique. Nous savons ces qu’il est en train de se passer. Ce qu’il nous manque désormais, c’est l’adhésion et l’action de la société civile, des entreprises, des politiques. Mais pour que cela ait lieu, il faut qu’il y ait une rencontre avec la nature. 

« Il s’agissait, au cœur du grand incendie,
De préserver partout une marge sauvage, sur Terre et dans nos âmes,
Sanctuaires où le vivant pourrait à nouveau prospérer.
De rendre au sauvage et aux humains leurs lettres de noblesse,
De les réconcilier dans la magie du monde.” — Manifeste de Marge Sauvage 

Tu es de plus en plus soutenu par des entreprises (Millet, Picture, Patagonia, Maped, Mirova…). Comment travailles-tu avec elles ? 

Déjà, j’aime travailler avec les entreprises, car, contrairement aux organisations publiques, elles soutiennent mon action sans conditions, ce que les publics ne savent pour la plupart pas faire. Concrètement, la relation est très saine : elles soutiennent nos actions financièrement, tandis que j’essaie de mon côté de les alimenter dans leurs questionnements. Parfois, nos échanges les font vraiment évoluer. Certaines finissent même par revoir leur raison d’être pour y intégrer un authentique souci environnemental. Patagonia, en ce sens, reste la pionnière incontestée. Ils sont allés beaucoup plus loin que quiconque, avec des vrais projets de préservation dans le monde entier.

Au delà du soutien financier indispensable, à quoi te sert d’avoir ces entreprises derrière toi ?

Quand j’arrive avec des entreprises, je suis écouté par les politiques. Ça rend la démarche crédible. Mon objectif – et c’est ce qui est en train de se passer en ce moment, c’est de créer une coalition d’action, rassemblant une grande diversité de parties prenantes : des entreprises, des laboratoires de recherche, des associations, et des personnalités, comme Kilian Jornet, qui nous soutient également via sa fondation.

Revenons aux glaciers… face à un dérèglement climatique qui s’emballe, comment protège t-on les glaciers ? 

En limitant la hausse des températures. Si on respecte les accords de Paris, et qu’on limite la hausse des températures à 1,5 degré – ce qui va être très compliqué puisqu’on est déjà à 1,4°- , on estime que 80% des glaciers peuvent encore être sauvés. Si on reste dans un scénario « business as usual », c’est à dire qu’on continue à faire comme si le climat n’était pas un problème, c’est 50% des glaciers qui disparaîtront d’ici la fin du siècle. C’est simple, au dessus de 2° de réchauffement climatique, c’est tout le Groenland qui fondra, entrainant une élévation du niveau de la mer de sept mètres. 

Est-ce encore faisable ? 

Tant qu’on continuera de privilégier l’économique sur le vivant, nous irons dans le mur. Encore trop souvent, lorsqu’il y a un choix à faire entre le sauvage et l’économie, on favorise la seconde. Comme le dit le philosophe Baptiste Morizot, nous avons oublié que nous sommes un vivant parmi les vivants, et que nous nous tirons une balle dans le pied.

Je dis souvent  que protéger les glaciers, c’est protéger l’actuel et le futur. C’est aussi pour ça que j’aime intégrer les enfants à la réflexion, dont ils sont partie prenante. Nous avons par exemple un très beau projet avec le maire de Bourg Saint Maurice, qui vise à faire protéger les glaciers par les enfants eux-mêmes. C’est très puissant.

 

La beauté est-elle la clé ?

Je crois beaucoup au pouvoir du sensible pour faire bouger les choses. 

 

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Jean-Baptiste Bosson est glaciologue et géomorphologue. Après un doctorat sur l’évolution des petits glaciers alpins, il a notamment réalisé en 2019 pour l’IUCN la première étude sur les glaciers inscrits au Patrimoine Mondial de l’Humanité. Il a travaillé entre 2017 et 2024 à la mission scientifique au Conservatoire d’Espaces Naturels de Haute-Savoie (Asters). Depuis 2020, il développe et coordonne le projet Ice&Life qui vise à mieux protéger les 270 000 glaciers de notre planète et les écosystèmes qui leur succèdent. Les résultats ont notamment été publié dans Nature en 2023 et repris par l’Etat français dans la Stratégie Nationale Biodiversité. Il a été nommé en 2022 au Conseil National de la Protection de la Nature et au Conseil National de la Montagne. Depuis juin 2024, il a créé et coordonne l’association Marge sauvage, entre science et protection de la nature.

Aux Sommets, il animera une « walking conf » passionnée et passionnante, pieds dans la neige et tête dans les glaciers. 

 


Les Sommets, qu’est-ce-que c’est ?

Les Sommets, ce sont 2 jours pour s’inspirer et respirer, et repenser l’entreprise de demain. Au programme, des masterclass, des échanges sans filtre, des interviews live, des ateliers indoor et outdoor, des walking conf, le fameux télécabine pitch, des cafés, des tisanes, des fondues, et des soirées dont les Sommets ont le secret.

Avec en filigrane l’objectif de créer de nouvelles connexions : entre les neurones, entre les problématiques, entre les gens.

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