le 21 mars 2023 8 minutes

David Merle, CEO Bonneval Waters : Le pari d’une eau responsable

Il y a tous les produits que l’on consomme. Et puis il y a l’eau. Que l’on consomme et dont nous sommes constitués. A 80%. Pas étonnant que le produit fascine. A la source de Bonneval, il y a une eau millénaire jaillissant naturellement à quelques kilomètres de Bourg St Maurice, sur le chemin Cormet de Roselend, dans les montagnes savoyardes de la Haute Tarentaise. Et puis deux hommes qui y sont remontés : Jean Moueix, CEO de Petrus, investisseur engagé et habitué depuis tout petit à faire attention à ce qu’il boit. Et David Merle, parcours académique impeccable (Ponts et Chaussées, Harvard Business School) suivi d’une première carrière dans l’énergie et la finance. Le premier s’est intéressé à la source dès 2013, avant de racheter la totalité de l’exploitation en 2017. Le second l’a rejoint peu après, partageant avec lui une passion pour l’eau mais aussi les grands défis : lorsqu’ils s’embarquent dans l’aventure, tout est à construire : les conduites pour acheminer l’eau vers l’usine, l’usine, le réseau de transport et de distribution. Le tout, nous rappelle David Merle, autour d’un produit unique extrêmement sensible, car pour qu’elle reste « minérale », l’eau de source ne peut être modifiée et doit rester protégée jusqu’à sa mise en bouteilles. L’investissement est énorme, plusieurs dizaines de millions d’euros, les contraintes techniques importantes, et les choix engagés du tandem parfois coûteux. Qu’importe : ils y croient. Comment ne pas…

En amont de sa participation aux Sommets, David Merle, CEO de Bonneval Waters, nous a expliqué deux trois choses sur l’eau, les sources, la vie, tout ça…

 

David, comment met-on la main sur une source d’eau minérale ? 

Selon le droit du sol français, les sources d’eau appartiennent au propriétaire du terrain d’où elles jaillissent. Dans les cas les plus connus des grandes marques d’eau minérale française, les collectivités locales se sont assez rapidement organisées pour pouvoir les gérer. En général, elles les font exploiter sous un format de concession, par une société d’exploitation qui possède la marque et qui appartient souvent à l’un des géants de l’agro alimentaire. Dans le cas de Bonneval, il s’agit d’une source appartenant toujours à une société privée, propriétaire du terrain, et à laquelle la société d’exploitation Bonneval Waters paye une redevance.

 

“L’eau de Bonneval est, littéralement, un cadeau de la Terre”

 

Plusieurs années après avoir acquis la société d’exploitation de Bonneval, où en êtes-vous ? Depuis quand l’eau de Bonneval est-elle commercialisée ?

Tout était à faire lorsque nous sommes arrivés. L’eau de Bonneval est, littéralement, cadeau de la Terre : elle jaillit seule à la surface, sans que l’on ait à aller la puiser, après un voyage à travers les roches de plusieurs milliers d’années et dont elle émerge à 28 degrés. C’est la partie cadeau de la nature. La partie difficile consiste à l’acheminer jusqu’à l’usine d’embouteillage. Nous avons construit une conduite de plusieurs kilomètres, et avons choisi de construire une usine relativement éloignée de la source afin de préserver la beauté visuelle du site d’où elle jaillit. Cet acheminement suppose des contraintes techniques importantes car l’eau, pour qu’elle reste intacte, ne doit jamais entrer en contact avec la moindre bactérie, être touchée par quoi que ce soit. Le défi est donc de neutraliser l’eau sur 5 kilomètres, avant de la mettre en bouteille. En parallèle, nous avons le fait le choix, à chaque étape du processus, d’opter pour les options les plus responsables d’un point de vue environnemental, ce qui a sensiblement augmenté nos contraintes et besoins d’investissements. Cela nous a donc pris plus de trois ans pour lancer notre première gamme, en 2021.

De combien de litres ou bouteilles parle-t-on ?

La première année, nous avons commercialisé 250 000 litres. En 2022, nous étions à un peu plus d’un million. Notre usine d’embouteillage est dimensionnée pour produire plus de 100 millions de bouteilles sous plusieurs formats. C’est assez faible si on compare à des marques françaises majeures du secteur, qui se situent au-delà du milliard de bouteilles par an.

 

“Nous revendiquons une signature territoriale très forte”

 

Quel est votre marché actuel et souhaité ?

Nous sommes une eau de Savoie, avec une signature territoriale très forte. Nous voulons d’abord nous ancrer dans notre région, devenir l’eau que les consommateurs associent avec notre région, l’eau qu’ils boivent lorsqu’ils viennent à la montagne. Nos clients principaux, pour le moment, sont beaucoup des hôtels et restaurants de la région, notamment en station, et des sportifs, qui plébiscitent notre eau pour ses apports en minéraux. C’est la raison pour laquelle nous nous associons à des événements sportifs, comme les trails ou les mondiaux du ski cette année. La suite on verra…

Comment envisagez-vous de croître ? En convertissant de nouveaux consommateurs à l’eau minérale, ou en grapillant des parts de marchés sur des concurrents ?

Plutôt la seconde option. Notre projet est un des projets parmi les plus responsables et respectueux de l’environnement de notre secteur. Encore une fois, à chaque étape, depuis son prélèvement à la source jusqu’à son transport et au recyclage de son emballage, nous avons délibérément fait le choix de limiter notre impact environnemental. Quand d’autres exploitants prélèvent 100% de l’eau de certaines sources, nous avons choisi de n’en prélever que 20%, représentant 2% du débit du torrent dans lequel la source se jette. Nous n’utilisons ensuite que des plastiques entièrement recyclés et recyclables pour son emballage. Les camions qui transportent nos bouteilles roulent au biocarburant naturel. Et nous sommes entreprise à mission et engagés dans un processus de certification B Corp.

 

“Les consommateurs se posent de plus en plus de questions sur ce qu’ils mangent, beaucoup moins sur ce qu’ils boivent”

 

N’y a t-il tout de même pas une contradiction dans le fait d’exploiter responsablement une source naturelle ? Le choix le plus responsable pour un consommateur ne serait-il pas de boire l’eau du robinet ?

Ce raisonnement revient à comparer le bio avec le non bio. L’eau du robinet et l’eau de source sont deux produits différents. Nous vendons une eau minérale, d’une pureté incroyable, là où l’eau du robinet ne l’est pas du tout. A vous de voir ce que vous voulez consommer, et choisir la qualité de ce que vous voulez ingérer. Les consommateurs se posent de plus en plus de questions sur la qualité de ce qu’ils mangent, beaucoup moins sur l’eau qu’ils boivent. Notre activité comme toutes les activités industrielles a un impact, et l’idéal serait de ne rien produire du tout – et donc n’avoir besoin de rien. Croire que l’eau du robinet n’a pas d’impact, ou qu’il est faible, est totalement faux, mais quelque part là ne se situe pas le débat. L’eau du robinet, nécessaire, est un autre produit, avec d’autres caractéristiques, d’autres impacts, d’autres bénéfices sociétaux. Nous, à notre échelle, essayons de proposer le meilleur produit possible, avec le moins d’impact possible sur l’environnement. Les consommateurs aujourd’hui consomment sans trop se poser de questions des produits avec des impacts environnementaux certains, mal compris, peu mesurés et finalement peu déclamés. Quand on nous parle souvent de plastique dans l’eau en bouteille, il faut remarquer que les emballages sont de grade alimentaire et qualifiés de neutre, certifié par le régulateur, ils sont entièrement recyclables en France. Ce n’est pas forcément le cas de tous les secteurs : par exemple et pour ne citer que le débat sur les micro-plastiques qui fait rage en ce moment, les fibres textiles synthétiques sont souvent faites de polyester qui relâchent des millions de nano particules par lavage. Si on veut consommer de manière responsable, il faudrait d’abord faire attention à notre consommation de vêtements.

Propos recueillis par Sophie Guignard

Vous avez aimé cette interview ?

Partagez la !