le 11 décembre 2024 9 minutes

Batoul Hassoun (The Salmon Consulting): “Le concept de performance doit être réinventé”

 

Les saumons sont des créatures fascinantes : nés dans les eaux fraiches des rivières, ils passent la plupart de leur vie dans les océans, avant de retourner où ils sont nés pour pondre leurs oeufs. Guidés par les odeurs mémorisées à leurs commencements et les champs magnétiques de la Terre, ils retrouvent leur chemin et s’élancent à contre-courant pour remonter la rivière qui autrefois les a portés, et assurer leur descendance. Nager à contre-courant est un danger, bien sur, tant ils risquent de se blesser, de s’épuiser, de s’échouer ou d’être interceptés par des ours ou autre créature affamée, mais c’est aussi la condition de leur survie. 

Dans un monde d’injonctions contradictoires et de défis sans précédent, ils sont une source d’inspiration. C’est du moins le postulat qui a conduit Batoul Hassoun a fonder The Salmon Consulting, dont la philosophie repose sur l’idée que ce n’est pas en se laissant porter par le courant que l’on crée du changement.

Or, du changement, il va y en avoir et en falloir beaucoup, si les entreprises ne veulent pas finir comme les seuls poissons à se laisser emporter par le courant : les poissons morts.

 

Batoul, tu as créé The Salmon Consulting en 2021, au sein du groupe Havas : quel était ton objectif initial ?

 L’objectif était de créer un nouvel acteur du conseil en stratégie adapté au monde de plus en plus complexe et incertain dans lequel nous vivons.

Dans ce monde-là, les modèles qui ont fait leurs preuves dans le passé ne sont ni ceux qui aideront à construire demain, ni ceux qui aideront à être performant dans ce monde empli d’injonctions contradictoires et de disruptions.

Je voulais créer une structure d’un genre nouveau, au croisement entre compréhension du business et des sciences sociales, pour pouvoir aider nos clients à se poser les bonnes questions et à prendre les bonnes décisions pour garantir la pérennité de leur entreprise.

 

Pourquoi penser à contre-courant te semble-t-il indispensable aujourd’hui ?

Au-delà du contre-courant, ce qui nous importe c’est d’avoir une indépendance d’esprit suffisamment forte pour questionner et éclairer les dirigeants, et de la créativité pour leur ouvrir de nouvelles perspectives, les aider à casser les carcans et les silos, les sortir des sentiers battus pour inventer de nouveaux chemins, de nouveaux modèles, de nouvelles idées. J’aime dire à mes équipes que notre rôle est de poser les questions qui éclairent, pas celles qui rassurent.

La culture d’une entreprise est le dernier réservoir de valeur : tout le reste peut être très vite copié 

Vous conseillez principalement des gros groupes, notamment du CAC 40. Pour quels types de problématiques vous sollicitent-ils en ce moment ?

En général, les entreprises viennent nous voir lors de moments clés pour eux – que ce soit leur nouveau plan stratégique, une M&A ou une JV ou encore une croissance rapide – pour les aider à réfléchir à la façon dont elles doivent évoluer pour rester pertinentes et performantes dans un monde qui change rapidement.

Nous aimons accompagner celles qui sont suffisamment courageuses pour se remettre en question. Il peut s’agir de grands groupes ou de plus petites structures, ce qui compte c’est la volonté de se questionner.

Pour cela, nous croisons la compréhension du monde qui vient avec la compréhension de leur structure et de leur culture pour imaginer leur(s) futur(s).

Nous avons récemment accompagné une banque dans la compréhension des besoins à horizon 2030 pour adapter leur stratégie, leur offre et leur modèle. Et nous avons aussi des questions sur la façon de faire évoluer la culture d’entreprise pour accompagner la stratégie et être davantage « customer-centric », ou encore pour accompagner une JV entre des acteurs très différents.

 

Les entreprises parviennent-elles à rester fidèles à leur culture dans des contextes tendus ?

Dans un monde qui bouge vite, il faut des repères, et la culture d’entreprise est ce qui lie ceux qui font partie d’une même communauté – et l’entreprise est une communauté au sens anthropologique du terme. La culture doit être cultivée et formalisée pour donner envie aux collaborateurs de faire partie du collectif et de s’y engager pleinement. C’est en réalité le dernier réservoir de valeur, car tout peut très vite être copié : sa stratégie, ses produits etc. Mais la culture est plus compliquée à dupliquer, il faut donc la travailler et la renforcer pour en faire un atout pour attirer les talents et les retenir. Cerise sur le gâteau, quand la culture est forte, les collaborateurs sont plus engagés, les résultats s’améliorent et la satisfaction client augmente : un cercle vertueux dont il serait dommage de se priver.

 

Quelles te semblent être les priorités de vos clients à l’heure actuelle ?

Comme je le disais, à chaque crise ou contexte économique tendu, on voit les bonnes résolutions s’évaporer. Et si de nombreuses entreprises ont initié un changement en profondeur pour intégrer la RSE au cœur de leur business, pour faire évoluer les métriques d’évaluation de leur performance…  J’observe un retour de balancier vers le tout financier ces derniers mois.

 

Ce repli a-t-il un impact sur l’horizon des entreprises ? Vois-tu certains de tes clients abandonner certains de leurs projets ou champs d’exploration ?

Oui. Malheureusement le court terme reprend parfois le dessus. C’est ce qu’on appelle le biais d’immédiateté qui nous fait préférer – dès notre plus tendre enfance (si vous ne le connaissez pas, aller voir le test du Chamallow sur youtube !) – le présent au futur. C’est ce qu’on appelle aussi la « company gravity » : une force d’attraction qui nous pousse à revenir aux considérations basiques et court-termiste de ce qui est demandé à l’entreprise : ramener de l’argent. Mais ce biais peut s’avérer dangereux et néfaste à la performance – voire à l’existence – de l’entreprise sur le temps long.

Et dans ce cadre, il est plus facile d’allouer son budget à une mission de réduction de coûts que sur de la stratégie long terme, de la prospective ou de l’innovation.

Pour y remédier, il faut reprendre de la hauteur, imaginer les différents scénarios et définir sa vision stratégique à horizon 10 ans, et savoir être itératif en adaptant son plan régulièrement. Les entreprises qui anticipent et se projettent dans le futur, comme Michelin, JP Morgan ou Axa ont souvent une longueur d’avance sur leurs concurrents.

Les entreprises qui persistent à se projeter dans un temps long ont souvent une longueur d’avance sur leurs concurrents 

Vous travaillez justement beaucoup sur le concept de l’entreprise performante, aujourd’hui mais surtout demain : à quoi ressemblera l’entreprise performante de demain selon vous ?

Le concept de performance doit être réinventé. Donc difficile de dire à quoi ressemblera une entreprise performante demain. On peut cependant imaginer le monde dans lequel elle se devra d’être performante et les questions qu’elle devra se poser : Comment se préparer à l’incertitude ? De quelles compétences aura-t-on besoin ? Comment être plus inclusif ? Comment être plus ouvert et collaboratif ?… Et au lieu d’y voir des risques, il faut y lire l’opportunité de faire différemment, et d’imaginer un monde meilleur.

 

Atteindre la performance suppose parfois des renoncements. Tu parles de fait souvent de la « donut economy » : peux-tu développer rapidement ce concept ?

J’adore ce concept théorisé par Kate Raworth quand elle était chez Oxfam. C’est un modèle qui a la forme de la pâtisserie, le donut, et qui stipule qu’après une phase de croissance, l’entreprise doit se réguler en pensant un système capable de fonctionner sans tomber dans le trou social (le non-respect des fondamentaux comme l’égalité de genre, l’accès aux ressources vitales etc.) et en ne dépassant pas le plafond écologique (les limites planétaires). Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un renoncement, je dirai plutôt que ce modèle systémique est une bonne façon de penser une performance durable.

 

Fun fact : tu es aussi karateka. Les arts martiaux ont-ils une influence sur ta façon de penser et d’agir ?

Sans doute. J’ai commencé le karaté à l’âge de 5 ans, initialement parce que ma mère voulait que je sois capable de me défendre. Je crois que cela m’a appris à me défendre physiquement bien sûr, mais cela m’a aussi donné confiance en moi et l’envie de savoir me défendre intellectuellement : en aiguisant ma curiosité, en apprenant à convaincre, en affutant mes arguments, en détectant les signaux faibles et en imaginant les différentes stratégies pour esquiver les risques et créer des opportunités pour remporter la victoire !

 

De quoi vas-tu parler aux Sommets ?

Votre thème pour cette année étant la performance, je vous partagerai nos travaux et conclusions sur ce que sera l’entreprise performante en 2040. Mais avant cela, il me semble indispensable de donner quelques éclairages sur le contexte à venir, car se poser la question de la performance sans se poser celle du monde qui vient a peut-être moins de sens.

 


Les Sommets, qu’est-ce-que c’est ?

Les Sommets, ce sont 2 jours pour s’inspirer, respirer, et repenser l’entreprise de demain. Au programme, des masterclass, des échanges sans filtre, des interviews live, des ateliers indoor et outdoor, des walking conf, le fameux télécabine pitch, des cafés, des tisanes, des fondues, et des soirées dont les Sommets ont le secret.

Avec en filigrane l’objectif de créer de nouvelles connexions : entre les neurones, entre les problématiques, entre les gens.

Envie de nous rejoindre, seul ou avec votre équipe ? D’organiser votre séminaire aux Sommets ?

N’hésitez pas à nous écrire sur contact@les-sommets.fr ou nous appeler au 07 86 39 03 16

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