L'interview de Romain Roy
Fondateur et PDG de Greenweez
Greenweez.com, c’est en quelque sorte le pionnier du bio en ligne. Fondée sur les bords du lac d’Annecy il y a 13 ans par Romain Roy et Carl de Miranda, la plateforme propose aujourd’hui plus de 80 000 références de produits bio et responsables, emploie 250 personnes, livre une moyenne de 1,5 millions de commandes par an, pour un chiffre d’affaires de plus de 100M€ en 2020. Romain Roy nous en dit un peu plus dans cet entretien.
D’où vient Greenweez.com, d’une conviction ou d’une opportunité ?
A l’origine, je n’étais pas prédestiné au bio. Je ne viens pas d’une famille progressiste, encore moins écolo. Mais bizarrement, j’ai toujours eu un début de conscience environnementale. D’où vient Greenweez ? C’est difficile à dire. Ce qui est sûr c’est que j’avais envie de faire du e-commerce. Et puis, très honnêtement, j’avais aussi envie de faire quelque chose qui pourrait avoir des répercussions patrimoniales pour moi, j’avais besoin de me mettre à l’abri financièrement. Mais j’avais tout de même cette conscience environnementale, bien que ma vie de l’époque ne fût pas très cohérente par rapport à tout cela, je mangeais n’importe quoi, je prenais la voiture pour faire 200 mètres…
En 13 ans, Greenweez a beaucoup grossi et beaucoup changé. Et toi ?
J’ai énormément changé. L’aventure Greenweez a transformé toute ma vie, depuis ma façon de voir les gens, mon rapport à la famille, au couple, à l’environnement, bien sûr. Tout. L’aventure entrepreneuriale a eu un impact immense sur toutes les sphères de ma vie. Mais ça a été très difficile, je suis passé par des moments très tendus. J’ai pris des risques personnels et professionnels immenses.
J’ai en parallèle aussi beaucoup évolué sur plein de sujets, principalement grâce à nos clients, nos fournisseurs, et les employés avec lesquels j’ai été en contact, surtout au début. C’est incroyable comme j’ai évolué grâce à eux.
Greenweez a été rachetée par le groupe Carrefour il y a 5 ans. C’est devenu une entreprise à mission cette année. Quelle est la prochaine étape ? As-tu une vision, un objectif pour Greenweez ?
Maintenant oui. Il se trouve que ce n’était pas forcément le cas avant. L’objectif, c’est de devenir la place de marché de référence en Europe de la consommation responsable, créer un réflexe pour toutes celles ou tous ceux qui veulent consommer de manière responsable. Pour ça, on lance plein de nouvelles initiatives.
Le bilan environnemental de la vente en ligne est très controversé, voire assez catastrophique. Que faites-vous pour mitiger cela ?
On travaille beaucoup, à plein de niveaux, afin de réduire l’empreinte des livraisons. Mais on veut aussi essayer de changer les mentalités. En ce moment, on travaille par exemple sur une option de livraison lente : cela prendra 3 semaines, mais la livraison sera complètement décarbonée. Le colis sera acheminé par train, voiture électrique, etc.
Est-ce quelque chose que vous imposerez ?
Non, le consommateur pourra choisir entre une livraison rapide, mais plus chère, et une livraison lente, qu’on encouragera au maximum. Il y a aura un compteur en face de chaque option, pour que le client en visualise l’impact.
Est-ce uniquement une démarche écoresponsable ou faut-il y voir une volonté de repenser le système ?
Ceci n’est pas uniquement fait dans une optique d’écoresponsabilité. Ça a également une dimension assez philosophique. A titre personnel, j’ai envie de redonner de la valeur à la patience. On a complètement perdu cette vertu aujourd’hui, et je trouve ça dangereux. On ne sait plus attendre, on veut tout, tout de suite. De mon côté, j’essaie péniblement de me détacher de ça. Ce n’est pas évident. Mais par exemple maintenant, c’est anecdotique mais symbolique, je me remets à regarder des séries qui ne diffusent qu’un épisode par semaine. C’est tellement bon l’attente, c’est ce qui fait tout l’intérêt de ce que l’on convoite, qu’il s’agisse d’une fille, d’un jouet, d’un film.
En revanche, tout le monde n’est pas de cet avis. Quand je parle de notre idée de proposer un service de livraison lente, je m’entends souvent répondre que cela ne fonctionnera pas, que personne ne choisira cette option. Moi j’espère que si.
Au niveau organisationnel, comment évoluez-vous ?
Le fait que nous soyons une entreprise à mission est extrêmement structurant. Cela donne une vraie direction et un cadre à notre organisation. En revanche, je crois un peu moins qu’avant à l’entreprise libérée. J’en suis un peu revenu. Évidemment ça dépend des boites, des personnalités. Mais moi je n’ai pas réussi, je n’ai pas trouvé le modèle qui fonctionne. Et puis je reste persuadé qu’il faut un cadre. Pour autant, je ne suis pas dans le micro-management non plus, j’aime laisser les gens s’épanouir et prendre des décisions. Peut-être parce que je suis trop fainéant . Ce qui est finalement vertueux, car les fainéants trouvent toujours une manière simple de faire les choses. Et puis je laisse naturellement d’autres que moi faire les choses et prendre des décisions, car de fait, ils sont meilleurs que moi dans leur domaine. Cela me semble donc assez naturel.
Que recherches-tu chez les gens dont tu t’entoures ?
Qu’ils soient smarts. Je ne sais pas comment définir cela. Cela reflète une rapidité de compréhension, mais aussi une manière d’être. Je veux qu’ils montrent qu’ils ont envie. Cela parait bateau, mais en réalité ça ne l’est pas tant que ça : tu serais étonnée de savoir combien il est rare que, dans un entretien, le candidat nous dise spontanément qu’il a envie de rejoindre la boite. Qu’il fasse preuve d’enthousiasme. Pour moi c’est pourtant la base.
Beaucoup de boites ont du mal à recruter en ce moment. Est-ce que c’est le cas de Greenweez ?
Nous avons la chance d’être assez attractifs car nous évoluons dans un secteur et un lieu qui font envie. Nous avons une mission qui attire les gens, notamment les jeunes. Mais, à cause de cette même mission, nous attirons aussi un type de profils assez complexe à mobiliser : les candidats sont attirés par les valeurs de la boite, le côté bien-être, mieux-vivre qui lui est associé. Mais du coup ils ont aussi envie de travailler de manière assez cool. C’est assez cohérent, en somme, mais ça ne m’arrange pas ! Car faire grandir une boite, ça demande une énergie, une capacité de travail et un dévouement énormes. Et ça pour nous c’est complexe, car même si notre mission vise l’impact, nous avons envie de grossir, de nous développer, et donc d’avoir des gens très ambitieux à ce niveau-là aussi !
Tu vas faire le black friday?
Nous avons beaucoup hésité car nous sommes évidemment contre le principe de surconsommation absurde lié au Black Friday. Mais chez nous, étant donné que notre mission est de convertir un maximum de gens à une consommation plus responsable, nous avons finalement décidé d’organiser notre version, le Green Friday. Ça nous permet au travers de promos agressives d’essayer de toucher des gens qui n’ont pas forcément les moyens d’habitude et de leur montrer qu’on peut consommer mieux sans que cela coûte cher.
Tu t’intéresses aux nouvelles expériences consommateurs ? Que penses-tu notamment du metaverse ?
Je suis très enthousiaste sur ces nouvelles technologies. Cela va ouvrir des perspectives incroyables d’un point de vue culturel et éducatif, mais aussi en ce qui concerne l’expérience consommateur. On va pouvoir passer d’un e-commerce en 2D sans interaction avec un vendeur à une expérience 3D et en contact direct avec un vendeur.
C’est vraiment un progrès ça à ton sens ? N’est-ce pas mieux d’aller dans un vrai magasin ?
Si, évidemment, et cette technologie n’a pas vocation à remplacer la vie réelle. Par contre, je préfère de loin cela au fait de passer commande avec mon smartphone, on remet de l’échange là où il n’y en avait plus. Et puis en dehors du commerce, ça va ouvrir le champ des expériences à tout un tas de gens qui n’y ont pas accès.
Propos recueillis par Sophie Guignard.
Romain Roy interviendra lors de la prochaine édition des Sommets, les 28, 29 et 30 mars prochains, à Annecy. Tout le programme est à retrouver ici: