Podcast – Virginie Delalande : Faire preuve d’une détermination sans failles

Podcast – Virginie Delalande

Faire preuve d’une détermination sans failles

Virginie-Delalande

Femme passionnée et engagée dans sa vie professionnelle comme privée, Virginie est la démonstration vivante que “Tout est possible, y compris avec un handicap!”. Elle est née sourde profonde et n’a jamais entendu le son de sa voix. Virginie a longtemps travaillé en tant qu’Avocate spécialisée en droit des affaires, puis en tant que juriste, pour ensuite se lancer en tant que chef de projet Marketing, afin d’adapter les produits, les services et le parcours client de son entreprise vraiment accessibles à tous, y compris aux clients en situation de handicap.

Aujourd’hui, Virginie est Coach et conférencière et a fondé le concept du Handicapower, c’est-à-dire « comment tout rendre possible, même avec un handicap, que ce handicap soit reconnu ou simplement dans la tête. »

Virginie sera speakeuse aux Sommets du Digital.

 

  • Comment les personnes en situation de handicap sont-elles aujourd’hui insérées dans les entreprises ? On sait que les entreprises ont du retard, mais y a-t-il du progrès ?

A titre personnel, je constate globalement une meilleure insertion qu’il y a quelques années parce que le sujet est abordé de manière plus fréquente et ouverte que par le passé.

En revanche, j’ai pu constater que certaines entreprises imposent des aménagements de poste à des salariés alors même que ces aménagements ne sont pas les plus adaptés pour une employabilité optimale.

Diverses explications peuvent être avancées : des partenariats peuvent avoir été établis avec un fournisseur en particulier et s’il n’a pas le bon aménagement en catalogue, le salarié n’en bénéficiera pas. Ou alors, le chargé de mission a une vision très comptable de son budget et préfère choisir l’aménagement de poste le moins cher au grand dam de son efficacité. Ou alors encore, il va considérer que pour un handicap donné, le besoin est le même quelle que soit la personne concernée. Or par exemple, deux personnes sourdes peuvent avoir des besoins très différents : une souhaitera une traduction en langue des signes, l’autre préfèrera que ses conversations téléphoniques ou ses réunions soient retranscrites par écrit.

Il y a encore un gros travail de sensibilisation à faire.

 

  • Dans votre apprentissage, votre parcours et votre relation au milieu de l’entreprise, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?

Ce qui m’a le plus marqué est la grande tendance des gens à me sous-estimer au premier abord juste parce que je suis sourde. Et lorsqu’ils découvrent que j’ai un diplôme d’avocat ou que je connais telle ou telle personne à titre personnel, leur regard change du tout au tout… Un peu superficiel non ?

Ce qui m’a aussi marquée est que je dois faire mes preuves trois fois plus que les autres, mais une fois que c’est fait (après quelques mois), le bouche à oreille fonctionne très vite et mon handicap devient paradoxalement ma meilleure carte de visite.

 

  • On imagine que les entreprises et même en tant qu’individus, nous avons beaucoup à apprendre des personnes en situation de handicap. Si on prend votre exemple, vous êtes une source d’inspiration, de par votre parcours et la détermination dont vous faites preuve. Où trouvez-vous cette détermination ?

Cette détermination est le fruit d’un long parcours personnel pour arriver à surmonter la honte de mon handicap, comprendre où est réellement ma place dans ce vaste monde et en quoi finalement cette singularité est un atout.

 

  • Quelles sont les mécaniques ou les techniques que vous avez utilisé pour générer tant d’effort et arriver à un tel résultat ?

 J’ai fait 20 ans d’orthophonie pour apprendre à parler. Cela m’a donné une leçon de vie fondamentale. On ne sait pas combien de temps on va mettre pour faire des progrès, donc c’est la persévérance qui paie.

J’ai aussi compris que pour progresser vite, il fallait être aidé, et que pour bien apprendre, il fallait travailler avec plaisir. À titre d’exemple, l’orthophonie consiste à répéter à l’infini des mots et des phrases pour que la prononciation s’améliore petit à petit. Pour rendre l’exercice plus amusant, nous travaillions sur des mots qui me faisaient rire ou sur des livres que j’adorais. C’est pour cette raison, que chaque semaine j’y retournais, car j’avais envie de connaitre la suite de l’histoire.

Cela m’a aidé plus tard à mettre du plaisir dans mon travail et ainsi être plus positive, énergique et continuer d’avoir envie.

  

  • Votre intégration a été un long processus, c’est le cas pour de nombreuses personnes dans votre situation. C’est un processus qui est aujourd’hui accéléré, le sera encore plus demain, grâce notamment aux nouvelles technologies. Comment voyez-vous l’avenir des personnes en situation de handicap, avec les nouvelles technologies ?

Je vois cet avenir de manière vraiment optimiste, surtout si les professionnels du digital saisissent le potentiel business fou qui se cache derrière les besoins d’une personne handicapée.

Concrètement, la surdité est vraiment LE handicap de la communication. Or les barrières de communication tombent les unes après les autres grâce aux nouvelles technologies…

Pour vous donner un aperçu de l’évolution ces dernières années et de leur impact dans ma vie, voici un exemple :

Comment comprendre la télévision quand vous n’entendez pas ? Grâce au sous-titrage.

Il est entré dans ma vie quand j’avais 18 ans, lorsque maman a acheté une télévision haut de gamme avec l’option sous-titrage intégrée. J’ai donc passé 18 ans de ma vie à regarder des films sans en comprendre les subtilités, ni les dialogues.

Et pour vous faire sourire, j’ai une petite anecdote… Ayant l’imagination fertile, vous imaginez bien que je me faisais mes propres interprétations des dessins animés et films que je voyais. Lorsque j’ai enfin eu accès au sous-titrage, je suis donc retournée illico voir mes préférés. Quelle ne fut pas ma déception de voir à quel point les dialogues étaient pauvres par rapport à ce que j’imaginais… Ma référence à moi étaient les grands classiques de la littérature française que je dévorais quotidiennement !

Puis j’ai passé les 10 années suivantes à espérer que le film que j’avais envie de voir serait sous-titré, jusqu’à ce que les chaînes publiques soient obligées de le faire… Mais ce n’est toujours pas le cas des publicités, ou de beaucoup de chaines privées…

Aujourd’hui, il est de plus en plus systématique. Par exemple tout est sous-titré sur Netflix, et l’est de plus en plus sur YouTube ou Instagram… Ce qui est sous-titré aujourd’hui a un meilleur référencement naturel et un nombre de vue plus conséquent. Et moi je me régale !

  

  • Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Mes sources d’inspiration sont tous ces rebelles qui ne se laissent pas enfermer par une étiquette, ces personnes qui ont soulevé des montagnes alors que nul ne croyait en elles parce qu’elles n’avaient pas le bon diplôme, pas la bonne couleur de peau, pas le bon statut social, pas le bon âge, un handicap. Celles qui ouvrent des voies pour les autres en montrant que oui, c’est possible quand on le veut vraiment ! Simone Veil, Oprah Winfrey, Barack Obama, Jack Ma, Philippe Croizon, Philippe Maurice (avant de devenir un de nos plus brillants spécialistes français de l’histoire médiévale, il fréquentait le milieu de la grande délinquance, au point d’avoir été condamné à mort en 1980 pour le meurtre d’un policier. Il a été gracié par François Mitterrand et a repris ses études), Rougui Dia (née dans un village dans la campagne sénégalaise, et aujourd’hui directrice du restaurant le Pétrossian).

 

  • Avez-vous récemment été inspirée par quelque chose ? (un livre, un événement, une personne, etc.)

Oui, j’ai lu ce matin dans le journal un article dressant le portrait de 8 grands patrons français qui ont réussi sans avoir le baccalauréat : François Pinault (Kering), Gérard Mulliez (Auchan), Les frères Pariente (Naf-Naf), Jean-Claude Decaux (JCDecaux), Jean-Claude Bourrelier (Bricorama), Philippe Ginestet (Gifi), Yves Rocher (Yves Rocher). On s’aperçoit qu’ils viennent de milieux divers, ont arrêté l’école très tôt, ont exercé des professions n’ayant souvent rien à voir avec l’empire construit ensuite (scierie, boucher, boulanger, vendeur de bestiaux etc…).

Cela m’amuse toujours beaucoup de voir des croyances populaires être malmenées par des exemples éclatants. Combien d’entre nous avons entendu à l’école une phrase comme : « travaille bien, sinon tu ne feras rien de ta vie ! » ? J’aime aussi voir que nos limites ne sont que dans notre tête (par exemple passer d’une scierie à l’univers du luxe, il faut le faire)!

 

  • Qu’est ce qui, dans la façon dont notre monde évolue, vous rend la plus optimiste ? 

Je vois de plus en plus de personnes construire leur vie professionnelle et personnelle autour de valeurs fortes pour elles : liberté, bienveillance, authenticité… Je les vois s’épanouir vraiment et contribuer ensuite, tels des colibris, à rendre notre monde meilleur.

 

  • Qu’est-ce qui aujourd’hui vous révolte le plus ?

Le regard posé sur la personne handicapée dans notre société… Je suis toujours très surprise de voir combien elles sont sous-estimées, mal comprises, et par conséquent, à quel point elles manquent elles-mêmes de confiance en elles. Elles n’ont clairement pas la place qu’elles méritent et j’y travaille avec passion.

 

  • Un petit mot pour les participants des Sommets du Digital ?

« Les Sommets du Digital » est une parenthèse forte dans notre vie d’entrepreneur. Elle nous permet de rencontrer des personnes aux profils divers, de networker et de prendre de la hauteur par rapport aux enjeux de notre entreprise dans une société en perpétuel changement. Sachons savourer pleinement ce cadeau que nous nous offrons, dans cet écrin Haut-Savoyard.

Vous qui êtes dans le digital, vous tenez aujourd’hui les rênes de demain, et vous le savez !

Beaucoup de choses ont été inventées, beaucoup de choses ont changé dans notre quotidien à tous grâce au digital… Mais de nombreuses zones restent à explorer…

Et souvent, ne pas être dans le moule, nous permet de voir où sont les opportunités, les axes d’amélioration, les pistes de confort à apporter… Ce qui bénéficie au handicap, bénéficie à tous (téléphone, sms, télécommande, plan incliné, ascenseur etc…) donc soyez plus intelligents que la moyenne des gens, allez voir l’opportunité derrière le « moins »… Et je vous partage un secret : « un handicapé fait souvent comme vous, ou mieux, avec moins » ! Il a donc souvent l’habitude de faire « plus avec moins », de s’adapter très vite en cas de barrière et de trouver des solutions créatives !