Alex Jaffray (Fondateur de Start-Rec) : Notre métier, c’est montrer l’invisible
Au début, il y a une note de piano répétée plusieurs fois, planant sur un stade, puis les toits de Paris … À la seconde trois, quatre homme en costume tapent sur des tambours, et la voix de Joséphine Baker descend, comme tombée des cieux… « J’ai deux amours… mon pays et Paris … ». Toujours cette petite note, puis une autre, et Paris vue du ciel, monumentale. Une jeune femme sort de sa fenêtre. Image de l’Opéra, du Panthéon, puis un jeune homme ferme les yeux et lève lentement les bras au-dessus de sa tête. Petit temps d’arrêt. Seconde vingt : des feux d’artifice jaillissent depuis les bords de Seine, la musique s’intensifie : orchestre, synthé, percussions, instruments qui n’existent pas… Des sprinters relèvent la tête et s’élancent sur la piste, une gymnaste tourbillonne dans les airs, un basketteur bondit au ralenti, deux escrimeuses s’affrontent. La voix de Joséphine Baker monte dans les aigus, puis retombe … « deux amours… Paris, Paris »… des nageurs plongent, un handballeur tombe au sol en criant, des avions bleu, blanc, rouge coiffent ciel de la Tour Eiffel, une foule agite des mouchoirs. Des percussions s’emballent, une équipe s’enlace, des athlètes pleurent de joie, font des coeurs avec les mains. L’instrumentalisation se calme, se pose. La voix de Joséphine Baker une dernière fois… « Deux amours… mon pays et Paris ». Finalement, une voix de femme annonce : « En route pour Paris 2024 avec France Télévisions ».
Alex Jaffray, compositeur, emblématique monsieur musique de Télématin, chroniqueur et showman invétéré a co-fondé Start-Rec en 2002, avec son acolyte Domitille Mahieux et Gilles Facérias. Depuis leur joyeux studio parisien, ils mettent en musique tout ce qui leur tombe sous les yeux : spots télé, signatures sonores, films, séries, événements. Leurs clients incluent France Télévisions, Renault, TF1, Sephora, SNCF, la Caisse d’Épargne…
Il y a quelques années, c’est Alex qui a créé la signature sonore des Sommets. Depuis, elle ne nous quitte plus. Et les Sommets ne quittent plus Alex non plus. Il nous est trop précieux.
En amont de sa nouvelle participation, nous lui avons posé quelques questions sur la façon dont la musique influence nos expériences, pour mieux en comprendre les leviers et les secrets – à supposer que la musique ne soit pas que pure magie.
Pour une marque, qu’est-ce qu’une bonne identité sonore ?
Une identité sonore est une identité qui va avoir de l’impact, tout en transmettant le message ou l’univers de la marque dont elle sera le reflet.
Pour arriver à cela, il y a tout un travail à réaliser en amont afin d’identifier et de décortiquer les valeurs de la marque qu’il faudra ensuite transposer en valeurs musicales : Est-ce une marque qui innove beaucoup ? Est-ce une marque qui investit dans l’humain ? Par exemple, une marque d’assurance aura besoin d’une identité sonore qui rassure, tandis qu’une marque comme la Fnac pourra se permettre d’être plus créativement inattendue.
Plus concrètement, sur quels leviers (techniques, neurologiques…) une signature sonore efficace va-t-elle jouer ?
Une signature efficace va générer soit de la gratification, soit de l’attente chez celui ou celle qui l’entend. En général, la gratification vient de la reconnaissance de quelque chose d’immédiatement identifiable – une mélodie que l’on a entendu mille fois, une typologie de morceau (romantique, dramatique etc… ), tandis que l’attente vient de la façon dont le morceau est construit, comme par exemple ces morceaux qui montent en intensité. Il faut savoir que 90% des morceaux sont construits sur quatre accords – la plupart des hits, de Taylor Swift à Kendrick Lamar en passant par The Weeknd reposent sur ces quatre accords – ré, la, si, sol -. Les combinaisons varient selon les morceaux, mais, à force, elles finissent par créer l’attente d’un schéma préétabli dans le cerveau des auditeurs.
Y a-t-il des modes ou grandes tendances dans ton métier qui testent ou relancent votre créativité ?
Il y a des époques, oui, d’ailleurs souvent liées à des usages. Prenons Netflix par exemple : sa signature sonore est une signature d’ouverture. Elle survient lorsqu’on ouvre la plateforme et est là pour véhiculer une promesse avant un film. C’est très différent d’une signature de clôture, qui vient fermer une campagne. On ne peut donc pas travailler avec Netflix comme avec une autre marque. Il y a aussi des cas intéressants, lorsque comme par exemple c’est un device qui va créer une identité sonore : l’identité sonore de Nokia était sa sonnerie, et inversement.
La conjoncture économique française est un peu tendue : les marques investissent-elles encore sur leur signature sonore ?
Celles qui ne peuvent pas s’en passer – notamment celles qui font de la publicité traditionnelle, comme les voitures – continuent d’investir dans la musique. Pour les entreprises qui travaillent en B to B, une signature sonore est davantage un luxe auquel elles peuvent renoncer lorsque l’économie mondiale se tend…
Notre métier, c’est montrer l’invisible…
Vous composez également pour la télé et le cinéma, où les compositions viennent illustrer des scènes ou des histoires. Là encore, qu’est-ce qu’une bonne musique de film ?
C’est à mon sens celle qu’on ne voit pas arriver. Alexandre Desplat, compositeur oscarisé, dit d’ailleurs que notre métier, « c’est montrer l’invisible ».
Une scène se déroule, et là, une musique qu’on ne voyait pas venir s’invite et crée quelque chose de puissant – parfois de la tension, comme dans Shining, parfois de l’émotion, comme dans la scène finale de Coup de foudre à Notting Hill. Parfois aussi c’est le silence qui s’avère être le meilleur choix, car il joue avec le cerveau, surtout lorsque celui-ci s’attend, précisément, à ce qu’on lui envoie de la musique. Cela créé une sorte de disruption cognitive, donc de la surprise, et donc de l’impact.
Tu es un fidèle des Sommets, pour lesquels tu prépares cette année une nouvelle intervention : peux-tu nous en dire un peu plus ?
Le thème de cette année étant la performance, je vais tâcher de montrer ce qu’elle signifie lorsqu’elle est appliquée à la musique…. le reste, vous verrez !
Trois questions joker pour terminer :
Le film dont tu aurais aimé composer la musique ?
The social network, sur la création de Facebook. L’idée géniale de David Fincher a été de confier la bande son non pas à des compositeurs de musique de film, mais à des musiciens, en l’occurrence Atticus Ross et Trent Reznor, co-fondateurs du groupe Nince Inch Nails. Ça a donné une bande son géniale, surprenante, qui a gagné un Oscar.
La pub dont tu aurais aimé composer la musique
Le générique de clôture des programmes d’Antenne 2, à l’époque, une composition de Michel Colombier. C’était très beau, et très poétique visuellement.
La réalisation récente dont tu es le plus fier
La dernière campagne pour la Renault R5. On a adoré pouvoir utiliser Instant Crush de Daft Punk, et surtout avoir le droit de le désosser pour le retravailler façon Start Rec, aboutissant à un arrangement inédit avec des cuivres, des cordes, des chœurs. Et cerise sur le gâteau, on a obtenu l’accord des deux Daft Punk pour avancer, alors qu’on n’avait absolument pas le droit de changer le morceau !
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Les Sommets, qu’est-ce-que c’est ?
Les Sommets, ce sont 2 jours pour respirer, s’inspirer et penser les grands enjeux de transformation auxquels les entreprises font face.
Au programme, des masterclass en présence d’experts de haut-vol, des interviews de CEOs, des ateliers, des “walking-conf”, des cafés, des tisanes, des fondues, et des soirées dont les Sommets ont le secret pour créer des connexions humaines et neuronales privilégiées.
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