L'entretien de Delphine Zanelli
Hôte du podcast "L'Entreprise de Demain"
“On sur-estime ce qu’on peut faire à court terme mais on sous-estime ce qu’on peut faire sur la durée, petit à petit”.
Dans le cadre du partenariat entre Les Sommets et L’Entreprise de demain, Delphine Zanelli nous apporte son recul sur ses nombreuses conversations avec des dirigeants, décideurs et travailleurs d’entreprises dans une interview qui fait réfléchir.
Pourquoi as-tu lancé “L’entreprise de demain”?
J’ai lancé ce podcast pour trois raisons :
– Par ce que j’adore l’audio, l’échange et la rencontre
– Parce que j’avais envie de partager mes rencontres: je pense que l’on évolue surtout en étant inspiré, grâce aux mentors que l’on se choisit. Et dans mon podcast, j’en propose un certain nombre.
– Enfin, parce que je suis convaincue – j’ai pu l’observer à maintes reprises – que performance et impact social peuvent se rejoindre, s’additionner et que pour cela il n’y a pas un modèle ou un chemin, mais des modèles et des chemins que j’avais envie d’explorer. Les invités de mon podcast en ont emprunté de très différents, parfois opposés les uns aux autres. C’est intéressant de montrer la diversité des chemins possibles.
Quel est selon toi – et selon ce que tu perçois de tes discussions avec les dirigeants que tu reçois- l’enjeu le plus pressant des entreprises aujourd’hui ?
Je vois plusieurs enjeux.
L’enjeu de la question environnementale qui est bien plus importante et urgente que nous le pensons, supposant pour l’adresser que les entreprises transforment leur business modèles en profondeur.
Mais à côté de ça, l’enjeu social me semble largement aussi important.
Deux points nécessitent à mon sens plus de vigilance de la part des dirigeants et équipes dirigeantes:
– Le premier est l’obsolescence des compétences, qui questionne la performance des collaborateurs et leur employabilité. Or il revient à mon sens à l’entreprise – avec ses collaborateurs – de les maintenir au niveau de compétences nécessaires pour bien faire leur métier, mais aussi de s’assurer de leur employabilité d’une manière générale, de façon à ne pas faire de “dégâts sociaux” en cas de difficultés économiques ou d’ajustements stratégiques.
– Le deuxième point de vigilence est beaucoup plus basique : j’entends encore beaucoup trop de collaboratrices et collaborateurs travaillant dans des cabinets ou entreprises très actifs en RSE témoigner de pratiques socialement inacceptables en 2021, notamment autour des congés maternité ou de l’âge des candidats…
Pourrais-tu nous donner un ou deux exemples d’entreprise qui se soit véritablement transformée, et comment ?
Oh j’en aurais bien plus que un ou deux exemples…
Ce qui est intéressant, encore une fois, c’est la diversité des cas : parfois le changement vient d’une initiative isolée qui fait boule de neige, parfois cela vient d’une impulsion stratégique plus globale. Ce que je remarque dans tous les cas, c’est que les dirigeants vous diront tous qu’ils sont toujours en chemin. Je vais quand même vous citer 2 exemples très différents de transformation qui m’ont marquée : STHREE, et Haute Savoie Habitat.
Dans le cas de Haute-Savoie Habitat, dirigée par Pierre-Yves Antras, tout est parti du souhait de développer la confiance au sein de l’entreprise, ce qu’il a cherché à comprendre avec collaborateurs.
Pour la dirigeante de STHREE France, le point de départ a été le feed-back des collaborateurs, combiné aux mauvaises performances financières. Le module existant était de toutes évidence cassé. Il fallait oser se réinventer. Pour ce faire, elle s’est inspirée du livre de Frédéric Laloux (Reinventing Organisations).
Tant l’un que l’autre ont ensuite identifié des alliés et des promoteurs dans l’organisation, avant d’avancer par itération avec leurs équipes. De fait, ils ont progressivement fait évoluer leur posture, celle de leurs managers et leurs équipes, chacun à leur façon et leur rythme.
Les clés de leur succès semble dans les deux cas d’avoir très tôt fixé un cadre et des contraintes, qu’il ont ensuite partagé et enrichi au fil de l’eau – sans jamais perdre de vue leur objectif final de conjugaison entre impact et performance. Et sans jamais oublier que tout cela est un processus permanent, jamais terminé.
Quel est, selon toi, le plus gros frein à la transformation des entreprises françaises aujourd’hui?
J’en citerais 2: le manque de confiance et l’impatience.
Dans le premier cas, les dirigeants se disent que ce n’est jamais le moment, que cela va être long, qu’ils ne sauront pas faire, que c’est trop compliqué, qu’ils ne savent pas par où commencer… et donc ils n’y vont pas.
Dans le second cas : ils se lancent dans des grands plans qu’ils mettent des mois à bâtir en secret, souhaitant, de manière utopique, que tout le monde achète le plan dès son annonce, sans vraiment réaliser que les collaborateurs ont besoin de temps, d’assimiler les propositions, des les expérimenter pour les comprendre, y adhérer et s’engager. Du coup ça n’avance pas et les dirigeants trépignent.
Evidemment, ces deux cas sont assez caricaturaux… quoi que… Je dis souvent que l’on sur-estime ce que l’on peut faire à court terme mais l’on sous-estime ce que l’on peut faire sur la durée, petit pas par petits pas.
Que penses-tu que les sommets puissent alors apporter aux dirigeants ?
Un peu tout ce que je viens d’évoquer. Cela va permettre de sensibiliser les participants aux enjeux dans leur diversité et leur complexité, leur proposer des pistes pour les appréhender différemment – sous différents angles et points de vue. Cela va aussi leur permettre de s’inspirer, se challenger, ou encore trouver des mentors ou des pairs dont la réflexion et l’action se situe à un autre niveau. Peut-être aussi que cela les aidera à décider de leur prochain petit pas vers leur entreprise de demain.
Propos recueillis par Sophie Guignard.
Retrouvez-nous aux Sommets les 28, 29 et 30 mars prochains à Annecy pour plus d’échanges inspirants. Tout le programme est à retrouver ici: